Jean-Louis & François en Antarctique

 

 

Du 28 novembre 2019 au 18 février 2020, François Forget et Jean-Louis Dufresne (chercheur au LMD, Institut Pierre Simon Laplace) sont partis en Antarctique dans le cadre du programme de recherche CALVA créé par Christophe Genthon. Ce programme vise à mieux comprendre in situ la physique de l’atmosphère en Antarctique pour mieux interpréter les observations satellitaire et améliorer la modélisation de la météorologie et des précipitations et le calcul du bilan de masse du continent de glace qui va contrôler l’élévation des océans dans les décennies à venir. Nous nous intéressons aussi aux processus physiques fondamentaux de l’atmosphère qui évoquent parfois ce qui se passe sur la planète Mars…

Le blog ci-dessous a été écrit au fur et à mesure du voyage pour des classes de CM2 et de collège.. .

 

 

EPISODE 1

 

Jeudi 28 – samedi 30 novembre 2019 : Paris-Hobart

 

Deux nuits et deux jours dans les avions via Hong Kong et Melbourne pour arriver enfin à Hobart (Tasmanie) samedi midi ! C’est le printemps mais l’ambiance est plutôt bretonne. Nous retrouvons les hivernants qui attendent le départ vers l’Antarctique depuis plus de deux semaines ! Ils devaient partir mi-novembre sur le brise-glace Français Astrolabe, mais celui-ci est en panne. Nous nous préparons donc à appareiller sur l’Aurora Australis de l’Australian Antarctic Division…

 

Dimanche 1er décembre 2019 : Embarquement sur l’Aurora Australis

 

Nous sommes une petite quarantaine de Français, surtout les futurs hivernants et des scientifiques déjà aguerris à l’Antarctique (sauf François) , ainsi que les pilotes des hélicoptères, les mécaniciens, Stan l’ancien capitaine de l’Astrolabe qui sera notre pilote dans les glaces, etc.

 

 

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Le matin : embarquement, briefing, douane, et quelques exercices de sécurité plutôt rigolos. Nous récupérons l’équipement et les vêtements polaires que nous utiliserons dans les mois à venir. Enfin le départ vers 14h. Suspens : nous ne savons toujours pas si nous allons directement à la base Dumont d’Urville ou si nous passons ravitailler l’ile subantarctique de Macquarie et y déposer quelques chercheurs australiens. Cela ajouterait environ quatre jours au voyage…. Peu après le départ il est annoncé par haut parleur que les prévisions pour cette région sont trop mauvaises. Direction l’Antarctique avec une arrivée prévue « not before Saturday 7 ». Nous partons plein sud accompagnés par des voiliers sous spis en régate dans la baie d’Hobart, puis par quelques dauphins. L’Aurora Australis est un vieux brise-glace cargo de 92 mètres, robuste, plein de recoins et d’échelles que nous pouvons explorer à l’envie ou en cherchant notre chemin… 

 

 

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Essaie des combinaisons de survie pour éviter le sort de Jack dans Titanic…

 

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Notre Cabine grand luxe.

 

Lundi 2- Mercredi 4 décembre : A travers l’océan austral

 

Le temps alterne entre le grand beau et le crachin breton. Pour l’océan austral, la mer reste belle et la bateau plutôt stable : environ 4 mètres de creux lundi, 2 mètres mardi et 5 mètres ce mercredi, alors qu’il y a couramment plus de 10 m de creux dans la région ! Cela roule quand même et nombreux sont les estomacs barbouillés. Certains disparaissent dans leur cabine toute la journée (pas nous !).

Le bateau est constamment accompagné par d’immenses Albatros qui planent au dessus des vagues sans jamais battre des ailes. Jean-Louis observe un groupe de baleines soufflantes (François est jaloux)

Nous sommes hors du temps : sommeil, repas, un peu de sport et quelques conférences improvisées sur la plongée à Dumont d’Urville, les oiseaux en Terre Adélie, et l’évolution de la calotte Antarctique soumis au changement climatique…. L’équipage Australien est aux petits soins et nous mangeons comme des rois. A suivre !

 

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Albatros

 

 

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Mardi                                                  Mercredi

 

EPISODE 2

 

Jeudi 5 décembre : vers la glace

 

Il reste quelques centaines de kilomètres à parcourir (sur les 2700 km à faire depuis Hobart) mais nous savons que cela prendra du temps : les images satellites indiquent la présence de glace et de banquise à plus de cent kilomètres de notre objectif : la base Dumont D’Urville.

 

Le matin nous croisons notre premier Iceberg, mais le temps est encore gris… En attendat nous nous sommes portés volontaires pour la vaisselle collective. Comme tout ce qui est organisé avec l’Australian Antarctic Division nous avons auparavant suivi la formation nécessaire (qui consiste à savoir qu’il faut quitter la cuisine en cas de feu) et signé notre permis d’accès à la cuisine.

 

Dans l’après midi l’excitation monte : il y a de plus en plus de glace de mer, et le soleil apparait. Quelle chance. Il fait froid et nous sortons de leur sac les équipements polaire fournis par l’Institut Polaire Français IPEV.

Nous avons passé le cercle polaire et le soleil descend doucement vers le sud, notre direction. Il n’y aura pas vraiment de nuit.

Peu à peu le « pack » se densifie et le spectacle devient prodigieux à la lumière du soleil couchant. L’Aurora Australis passe sans problème au milieu des énormes plaques de glace dans un bruit fracassant. Le capitaine de l’Astrolabe est impressionné et un peu jaloux (l’Aurora Australis est un brise glace de Classe 1 -la meilleure- tandis que l’Astrolabe est juste un classe 5…).

 

Les premiers manchots apparaissent, ainsi que les phoques de Weddell et même des baleines qui semblent s’approcher du bateau par curiosité ! La moyenne d’âge sur le bateau est descendue à 10 ans.

 

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Les premières glaces !

 

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Sur la passerelle de l’Aurora Australis

 

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Un rorqual !

 

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Vendedi 6 décembre

 

L’Aurora Australis a brisé la glace toute la « nuit ». Dans la matinée nous arrivons devant Dumont d’Urville au soleil encore plus tôt que prévu. Notre bateau s’approche au plus prêt et s’encastre dans la banquise à moins d’un kilomètre de la base principale, peu loin de la spectaculaire falaise qui marque le pied de l’énorme « glacier de l’Astrolabe ». Sur la banquise autour de nous, des manchots empereurs (les stars de ciné) et adélie (les petits clowns rigolos) effectue un va et vient incessant entre leurs nids sur la côte et la mer libre. L’image a été montrée cent fois à la télé et au cinéma, mais le voir en vrai est impressionnant ! Le temps que notre déparquement s’organise, nous passons quelques heures à contempler ce spectacle grandiose de glaciers, ce va-et-vient permanent des manchots, leur hésitation à plonger dans l’eau.

 

Nous prenons l’hélicoptère pour nous rendre non pas à la base principale voisine, mais à sa petite annexe à six kilomètre « Cap Prudhomme ».

 

 

 

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EPISODE 3

 

Samedi 7 décembre : premier tour de piste

Nous sommes à présent sur la petite base de Cap Prudhomme, une base technique construite au pied de l’Inlandsis Antarctique autour d’une base-vie très agréable et familiale. Elle est essentiellement occupée par les techniciens (Tito, J-B, Quentin) qui préparent les « Raids » motorisé qui ravitaillent chaque été la base de Concordia à 1200 km au cœur de l’Antarctique. On y mange comme au restaurant dans une ambiance joviale, surveillé par un Skua Antarctique surnommée Mauricette…

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La petite base de Cap Prudhomme où  nous séjournons pour quelques jours. Au premier plan quelques autochtones qui lézardent au soleil sur la mer gelée (Phoques de Wedell)

 

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Repas royaux dans la salle à manger et apéritifs dans l’atelier de Cap Prudhomme

 

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Sur le mur de l’atelier, les restes d’une paire de ski de Mike Horn qui a traversé l’antarctique en kite-ski (5000 km en 57 jours) en 2016-2017, pour terminer à Cap Prudhomme. François, amateur d’expéditions polaire en kite-ski, est comme au musée.

 

 

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Tout autour de la base et au milieu des réservoirs de fuel, des manchots adélie couvent leurs œufs et nous font la révérence…

 

Aujourd’hui premiers contacts avec notre environnement de travail. Ce matin, belle journée, nous partons avec Vincent et Léonard relever les données de la station météo la plus proche, appelée D3. Elle à 1 km environ, dans la côte qui monte sur le glacier. D’habitude la montée se fait sans problème, mais cette année la neige a été complètement soufflée par le vent, ne laissant que de la glace bleue. Une vraie patinoire. La route directe n’est pas possible, on fait un détour via la « route du raid ». Première  marche depuis une semaine que nous avons embarqué sur le bateau. Et ça fait du bien ! La température est douce, à peine en dessous de zéro, pas trop de vent, beau soleil. Les données sont rapidement téléchargées, le paysage est époustouflant, on redescend tranquillement à la base.

Événement : le petit avion Twin Otter attendu depuis trois semaines arrive enfin de chez nos « voisins », la base italienne Mario Zuchelli à 1500 km. Il repart aussitôt vers la base de Concordia, amenant et repartant avec des passagers et du fret. Ils étaient coincés là bas par la météo depuis le 15 novembre ! La piste est sur le glacier au dessus de notre base.

 

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Pendant ce temps c’est un peu l’effervescence : tout le matériel et le ravitaillement apporté par l’Aurora Australis est déchargé sur la banquise ou transporté en hélicoptère sur notre base pour être envoyé plus tard à Concordia via le « Raid »

L’après midi, petit tour à la base principale à 6 km, Dumont d’Urville sur l’ile des Pétrels, où nous repérons l’endroit où nous installerons dans quelques jours le nouvel instrument conçu pour mesurer les nuages par rayon laser, le ceilomètre. Avant ça, il nous faudra vérifier que tout le matériel est bien arrivé, une fois le débarquement fini. Nous faisons l’aller retour sur la banquise encore bien solide dans un petit véhicule à chenille le Flexmobil, ou « Flex ». Il doit avoir une bonne quarantaine d’année mais qui rend encore de bons et loyaux services… même s’il est particulièrement bruyant et tape c… 

Dimanche 8 décembre 

Ce matin nous allons inspecter une autre station météo, à une dizaine de kilomètre sur le glacier, toujours en Flex. Arrivé à la station, où nous sommes accueillis par un petit vent frais par -5°C et une vue magnifique.

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Le « Flex », notre moyen de transport favori. Il se conduit comme dans un jeu vidéo (dérapage garantie dès que l’une des chenilles dérape).

Il faut un peu s’équiper. Très bonne nouvelle, tous les instruments sur la station ont très bien résisté à l’hiver et aux vents de 140 km/h qui soufflent régulièrement ici. Deuxième bonne nouvelle : très peu de neige s’est accumulée, on n’aura pas besoin de creuser pour déneiger et dégager la station cette fois-ci. Nous téléchargeons les données : difficile de lire sur l’écran d’ordinateur avec cette luminosité très forte. Ce n’est pas très commode de taper sur le clavier et manipuler la souris avec ce vent frisquet, mais ça y est, toutes les données sont bien téléchargées, on vérifiera de plus près quand on serra au chaud.

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Inspection des capteurs sur la station météo de D17

 

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Autour de la base de Cap Prudhomme, les énormes tracteurs et traineaux qui servent à alimenter la base de Concordia au cœur du continent.

 

EPISODE 4

 

Beaucoup de choses se sont passées depuis le dernier épisode, aussi bien côté travail que côté découverte de l’Antarctique !

Dimanche 8 (fin) :

Pendant que nous étions allés récupérer les données à la station météo « D17 » sur le plateau Antarctique, le temps s’est fortement accéléré à Cap Prudhomme et à Dumont d’Urville. Depuis notre arrivée vendredi, tout le personnel est mobilisé pour décharger l’Aurora Australis. Tout se passe bien : les deux hélicoptères font des va-et-vient entre les bases et le bateau tandis que la banquise est assez solide pour que les conteneurs soient descendus sur la glace, posée sur de gigantesques traîneaux et tirés par des engins vers les bases. Dimanche midi le déchargement est quasi terminé et l’après midi tout s’accélère : il y a un créneau météo le 12-13 pour que l’Aurora Australis puisse décharger sur l’île de Macquarie le matériel qui lui est destinée (rappelez-vous : on devait passer à cette île à l’allée, mais on ne l’avait pas fait pour cause de tempête, cf. l’épisode 1). Les hivernants qui sont sur la base depuis un an sont priés de faire leurs bagages au plus vite et embarquent le soir même. La période de « recouvrement », pendant laquelle les anciens et les nouveaux hivernants sont là en même temps, était  initialement prévue pour durer 3 à 4 semaines. Elle durera finalement à peine 3 jours ! Difficiles de se passer les consignes et le savoir faire en un temps si court ! Les échanges continueront par mail.

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L’Aurora Australis nous quitte pour aller ravitailler l’ile subantarctique de Macquarie.

Lundi 9 :

Ce lundi est décrété « dimanche » par les chefs de base, c’est à dire un jour de repos après la très forte activité des jours précédents. On traîne un peu, on lave le linge, un petit apéritif et un bon déjeuner. L’après midi, le temps est magnifique et nous allons nous promener sur la banquise. On part en direction de deux phoques qui dorment tranquillement. Ils ouvrent un œil pour nous voir, mais le referme rapidement.

Les manchots Adélie vont et viennent sur la banquise, souvent en groupe. Quand ils sont seuls, c’est impressionnant de les voir aller en solitaire dans cette immensité. La banquise est très épaisse et très sure, et on s’y promène facilement. La vue sur le glacier est magnifique, on va voire ça de plus près. La glace est bien bleue. On enjambe quelques petites crevasses créées par les marées.

 

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Les phoques de Weddell mesurent près de trois mètres. On les approche facilement car ils n’ont pas de prédateurs sur la banquise…

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Sur tous les rochers du coin des manchots Adélie couvent leurs œufs. Les éclosions sont pour bientôt !.

 

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François en mode Travelling-zoom-avant avec la go pro sur les infatigables manchots

 

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Mardi 10 :

Aujourd’hui nous déménageons en Flex vers la base de Dumont d’Urville. Elle est à 5-6 kilomètre, et c’est la base principale, nettement plus grande que celle de cap Prudhomme. Il y a plus d’une dizaine de bâtiments, assez grands, et ce au milieu de milliers de manchots Adélie.

Quelques éléments de la base de Dumont d’Urville: à gauche le bâtiment « geophy » où est notre bureau. A droite le « séjour » où nous prenons nos repas

L’après midi nous faisons l’inventaire du matériel expédié cet été : tout est là, et tout est en bon état. Une bonne partie de notre temps est aussi prise par une activité qui rassemble toute la base : le rangement de centaines de kilogrammes de vivre de toute sorte : des cartons de courgettes fraiches aux galettes Saint Sauveur en passant par les bouteilles de rhum (pour la cuisine, bien sur). Nous faisons de longues chaines à partir des caisses apportées par l’hélico en rigolant.

Mercredi 11

Nous montons le Ceilomètre (notre nouvel instrument conçu pour mesurer la hauteur des nuages par tirs laser vers le ciel), on le connecte à son ordinateur de service: Youpi, ça a l’air de marcher !! Dans le cas contraire, on aurait été très embêté... Il faut encore vérifier les mesures, raccorder l’ordinateur au réseau satellite, synchroniser les horloges aux services centraux de la station, mettre en place la transmission des données (bon cela ça ne marche pas encore). Heureusement tout a été soigneusement préparé avec les experts de notre laboratoire, l’équipe du SIRTA à Polytechnique. Merci !

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Mercredi : Il reste à trouver l’emplacement du Ceilomètre pour les années à venir. Ce sera dans un petit abri un peu à l’écart de la base nommé le « Chantal » où nous testons son implantation (Précision pour rassurer Christophe le responsable scientifique resté en France : on se ballade avec la partie structure de l’instrument, après avoir démonté la partie optique très fragile)

Après le dîner, la soirée est magnifique et des collègues ornithologues nous emmènent avec eux sur la banquise voire les manchots empereurs et les manchots Adélie. La banquise est toujours très solide est on peut aller jusqu’à la mer. Le spectacle est magnifique. Les jeunes manchots empereurs sont regroupés au bord de l’eau et hésitent avant de plonger. Leurs parents sont partis, ils partent découvrir le monde. C’est leur premier bain, ils partent en mer pour 2 ou 3 ans avant de revenir sur le continent, souvent dans la même manchotière, mais pas toujours. Ca permet un peu de croisement génétique. Photos dans un prochain épisode !

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Jeudi 12

Nous pouvons enfin monter l’ensemble du ceilomètre en extérieur pour des premiers tests grandeur nature sur la passerelle à coté de notre local. Les premiers résultats sont encourageants sauf qu’il fait si beau qu’il n’y a presque pas de nuages. Nous mettons en place un banc-test pour choisir la vitre (verre ? plexiglas ? double vitrage) qui protégera l’instrument dans son abri mais qui doit atténuer le signal le moins possible.

L’objectif des mesures qui seront réalisées est –entre autre- d’étudier les processus de précipitations pour mieux comprendre l’avenir de l’antarctique de l’est dans les années de changement climatique à venir : le réchauffement va-t-il faire fondre la glace ou au contraire augmenter les chutes de neige et faire croitre la calotte glaciaire ? la question est capitale pour pouvoir anticiper la montée du niveau des océans.

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Les premiers nuages antarctiques caractérisés par le ceilomètre ! Ils sont en rose sur la figure. Les nuages apparaissent vers 15h, vers 2800 m d’altitude. Ensuite il y a également une deuxième couche de nuages un peu plus bas, vers 1500m d’altitude. La couleur de fond (du bleu au jaune en passant par le vert) représente l’amplitude du signal de rétrodiffusion du lidar qui est ensuite analysé pour détecter les nuages.

Le plan de la base Dumont d’Urville

 

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Notre bureau dans le bâtiment « Geophy » de la base Dumont d’Urville. Vue imprenable !

 

EPISODE 5

 

Déjà plus d’une semaine que nous n’avons pas donné de nouvelles ! Les journées sont bien occupées et le temps passe vite.

Vendredi 13 - samedi 14 décembre

Pendant ces deux jours nous continuons à mettre en place et à tester le ceilomètre, le petit lidar qui permet de déterminer l’altitude des nuages qui passent au dessus le lui. Il est recommandé de mettre cet instrument directement dehors. Mais vu les conditions climatiques et après discussion avec les collègues météorologues qui ont hivernés ici, nous préférons mettre le ceilomètre dans un abri et le recouvrir par une vitre. Mais laquelle choisir pour ne pas trop diminuer le signal lidar ? Comme nous n’avions pas prévue cette protection, nous allons à « la pèche à la vitre ». Des collègues nous fournissent des premiers échantillons : une plaque de plexiglas, une vitre d’une ancienne fenêtre. De notre côté nous visitons quelques hangars dans lesquels sont stockés du matériel devenu inutile. Finalement nous jetons notre dévolu sur une vitre qui recouvrait un gros projecteur lumineux, et l’installons au dessus du céilomètre. Il fait très beau et il nous faut attendre quelques jours pour avoir de beaux nuages. Les résultats sont très bons, la vitre n’atténue que faiblement le signal, la détection des nuages fonctionne bien : nous retenons donc cette solution.

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Nuages et flocons révélés par le ceilomètre le 15 décembre 2019 (en orange). Vers minuit et le matin, quelques flocons de neige précipitent mais la plupart du temps ils se subliment avant d’atteindre la surface.

Dimanche 15 décembre

François profite du beau temps pour un jogging sur la banquise avec le jeune « Chef de District » Régis, entre icebergs, manchots et phoques (et avec radio et matériel de sécurité en cas de passage à l’eau).

Jean-Louis part se promener l’après midi avec quelques camarades. Des collègues architectes font le relevé des différents bâtiments de la station, et cet après midi ils doivent voir deux bâtiments un peu éloignés. Le premier, dit « cabane Prevost », du nom du biologiste qui a décrit pour la première fois le cycle de reproduction du manchot empereur (voir les photos). Un peu plus loin se trouve la cabane dit « BBC ». Elle fut utilisée pendant le tournage du film « la marche de l’empereur » et plus tard pour la réalisation d’une émission de la BBC.

La cabane Prevost

 

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A la limite de l’eau libre sur la banquise, les jeunes manchots empereurs âgés de cinq mois se regroupent en attendant d’avoir le courage de plonger pour la première fois.

 

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Il ne reste à présent que quelques adultes empereurs. La plupart sont repartis en mer après s’être relayé en couple pour s’occuper des poussins depuis juillet. Auparavant, le male avait couvé l'œuf au chaud malgré l’hiver en le portant sur ses pattes sous un épais repli de peau, sans s’alimenter pendant deux mois…

 

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Lundi 16 et mardi 17 :

Nous poursuivons nos travaux d’installation du Ceilomètre. Pour cela nous pouvons nous appuyer sur l’aide technique du menuisier de la base, Nicolas, qui construit pour nous une fenêtre étanche légèrement inclinée dans la direction du vent dominant afin d’éviter l’accumulation de glace et de neige (à l’intérieur nous montons aussi un ventilateur près de la vitre pour éviter buée et givre).

Le travail sur la base Dumont d’Urville s’effectue dans d’excellentes conditions. C’est presque une utopie : pas d’échanges d’argent et accès à toute la base et à ses équipements. La communauté rassemble amicalement tous les corps de métier qui s’entraident : menuisier, mécaniciens de précision, électronicien, plombier, cuisinier, pâtissière, pilote d’hélicoptère en n’oubliant pas nos collègues météorologues, biologiste, glaciologues, ornithologue, etc. C’est très enrichissant de les voir travailler au quotidien

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Nicolas Pabois le menuisier confectionne pour nous le hublot spécial pour notre ceilomètre

 

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Quelques activités sur la base. A gauche, l’ornithologue « Jéjé » Fournier bague une Océanite de Wilson après sa capture dans ses vastes filets disposés près de notre dortoir qui est un peu à l’écart. Il s’agit de l’oiseau migrateur le plus voyageur du monde, de l’Antarctique à l’Arctique chaque année. Il étudie cela en équipant les oiseaux de micro-enregistreurs qui mesurent la luminosité en fonction du temps, et ainsi leur position. A droite : Lâché de ballon sonde quotidien par l’équipe de Météo-France. Le chef météo -vétéran d’un précédent hivernage- est très peu frileux. Il passe sa vie en short !

 

Mercredi 18 :

Nous sommes de « service base ». Comme tous les habitants de la station deux à trois fois par mois, la journée est dédiée au ménage, à l’aide en cuisine, au service, à la plonge, etc. C’est une journée sympathique et intense de 8h à 21h avec juste une pause en début d’après midi.

Jeudi 19 – Samedi 21

A côté du Ceilomètre près de l’abri « Chantal » sur la colline, nous commençons l’installation de deux « radiomètres » qui mesurent l’un la puissance du rayonnement solaire reçu, l’autre le rayonnement infrarouge thermique émis par le ciel. Montage, connexion, transfert des données, etc.

 

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Installation des nouveaux radiomètres et… service en cuisine.

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Notre abri Chantal au milieu des manchots Adélie en train de couver.

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Tous les samedis, c’est « manip vivre ». Nous formons de grandes chaines pour transférer les victuailles de la semaine depuis des containers vers les réserves de la cuisine.

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A l’entrée du bâtiment « Geophy » ou est notre bureau, nous retrouvons avec émotion une plaque à la mémoire de notre ancien collègue Gérard Mégie, fondateur de notre Institut Pierre Simon Laplace.

 

Dimanche 22 :

Le vent souffle intensément mais cela n’empêche pas quelques promenades. On ne se lasse pas de ce site magnifique et de ses habitants palmés ou chaussés. Noel se prépare. Suite dans le prochain épisode…

 

 

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EPISODE 6

 

Reprise du journal après une « pause » pour les fêtes. Nous allons rattraper cela !

 

Lundi 23 décembre : Le radar pour mesurer la neige

Nous commençons à travailler sur un des instruments installés précédemment par le responsable scientifique de notre programme, Christophe Genthon. Il s’agit du « MicroRain Radar » (MRR) qui observe les cristaux de glace et les flocons qui précipitent vers la surface. En fait, la quantité de neige qui se forme dans l’atmosphère peut être estimée par des mesures faites par des satellites, mais toute cette neige n’atteint pas la surface. En effet, lorsque la neige tombe, elle peut traverser de l’air sec. Alors, une partie ou la totalité de cette neige se sublime, c’est à dire que l’eau passe de l’état solide (la neige) à l’état gazeux (la vapeur d’eau). La quantité de neige qui atteint la surface est alors plus faible que la quantité de neige qui se forme dans l’atmosphère. Cependant les mesures par satellite ne permettent pas d’observer la neige en dessous de 1500m d’altitude, et pour étudier ce qui se passe plus bas un radar permettant d’estimer la quantité de neige entre 300 et 3000 mètre d’altitude a donc été installé à Dumont d’Urville depuis quelques années.

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Un ancien «radome » en fibre de verre contient le radar MRR. Le local n’est pas chauffé et il faut rapidement veste, bonnet et gants pour coder sur l’ordinateur de l’instrument sans geler…

Notre travail consiste à récupérer les mesures faites par ce radar depuis un an, mais aussi à refonder le logiciel de gestion des mesures afin que les données soient compressées et dupliquées tous les jours sur un deuxième espace de stockage en ligne. Cela permet de se protéger d’une panne éventuelle du premier système de stockage, mais aussi de partager ces données avec nos collègues météorologues.

 

24 et 25 décembre : Noël à Dumont d’Urville

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Contrairement à une légende tenace, le père Noël n’habite pas dans l’hémisphère nord, et nous avons pu le voir de nos propres yeux. Depuis quelques jours déjà le cuisinier a commencé à préparer le repas du réveillon, et le jour-même plusieurs personnes viennent lui prêter main forte. Apéritif, repas, puis arrivée du père Noël et déballage des cadeaux. Quelques jours auparavant nous avons chacun tiré au sort le nom d’un membre de la base à qui nous devons offrir quelque chose pour Noël. Pour faciliter l’acheminement des cadeaux dans cette contrée lointaine, les menuisiers, chaudronnier et mécanicien de précision ont fait plusieurs soirées « atelier » où ceux qui le souhaitent ou pu exercer leur talent d’artiste ou de bricoleur pour réaliser le fruit de leur imagination. Après cela, musique et danse jusque tard dans la nuit…. Non sans avoir tiré les rideaux pour être dans le noir (vu qu’il ne fait jamais nuit) comme lorsque nous faisions des boums le samedi après-midi au collège…

 

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Quelques cadeaux de Noël « faits sur base ». Pour Pascal, le marin responsable de la centrale électrique/eau pour 2020, Jean-Louis a réalisé à l’atelier de menuiserie une petite sculpture en bois du brise glace Astrolabe enchâssée dans la glace (à gauche). François a offert (sur une clé USB gravée à l’atelier de mécanique)  un petit montage vidéo montrant ses aventures au jeune ornithologue Douglas, qui vient de passer 14 mois ici. Il reçoit de Coline (autre ornithologue) un joli montage de bois et laiton tourné réunissant l’Antarctique et ses chères planètes… (à droite)

Jeudi 26 décembre :

Nos activités scientifiques et techniques sur les instruments de la base Dumont d’Urville dont nous avons la charge se poursuivent : le Lidar Ceilomètre, le radar MRR, les radiomètres, et même un « pluviomètre » qui mesure en fait la quantité de neige qui s’accumule chaque jour. Autour de nous l’activité reprend après la pause de Noël : réparation, transfert de matériel et de carburant, déneigement des bâtiments encore parfois recouvert par des congères de neige formé pendant l’hiver.

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Des véhicules à chenilles de toute sortes, tailles et âges sont utilisés pour transporter matériel,  hommes et… déchets autour de la base.

 

Vendredi 27 - samedi 28 décembre : retour à la station météorologique D17

Lors de notre inspection de la station météorologue D17 le 8 décembre (cf. épisode 3), nous avions vu que le moulinet d’un des anémomètres était désaxé. Faut-il aller le changer ? L’analyse des mesures récupérées lors de cette inspection montre que cette mauvaise rotation introduit une erreur dans les mesures : il faut donc remplacer l’anémomètre. Les prévisions météo pour la  journée du lendemain sont bonnes, nous pouvons aller à D17. Valentin, chargé de l’instrumentation dur la base, nous fait de belles soudures pour rallonger le câble de l’anémomètre. On prépare la caisse à outil : prêt pour le départ.

Gilles le pilote nous emmène en hélicoptère à base de Prudhomme où nous prenons notre cher « Flex », sorte de vieux minibus rouge à chenilles que nous avons déjà utilisé. Quarante minutes de transport un peu secoué et nous voici à pied d’œuvre. Le temps est magnifique, mais un petit vent nous rappelle que nous sommes en Antarctique. Vive les moufles !

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Retour sur le glacier Antarctique et la station météo D17 avec notre véhicule à chenilles  favoris « Flex »  (François à gauche, Jean-Louis au milieu).

 

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Des métiers sur la base : Haut, gauche : Valentin, ingénieur technique pour les instruments scientifiques, ressoude les connecteurs de notre anémomètre pour son remplacement sur la station D17. Haut, droit, Sarah la médecin teste un mannequin de simulation pour les intubations dans la salle d’opération chirurgical du centre médical (espérons qu’elle ne sera pas utilisée cette année). Au plafond, le système vidéo de télémédecine pour assister les opérations via satellite. Milieu-gauche : Régis Gliere, le jeune chef de district 2020 pour la Terre Adélie (à la fois préfet et maire) présente la mascotte des hivernants lors de la cérémonie de passation. Milieu droit : Céline Le Bohec, écologue, place des caméras de surveillance des manchots Adélie sur l’ile voisine Rostand. En bas. Jérôme et Catherine sont deux architectes chargés d’inventorier, et diagnostiquer les bâtiments de la base  (le « patrimoine architectural ») pour préparer son avenir. Les superbes notes de terrain (à droite) se transforme en bels objets 3D sur le logiciel Revit.

 

Dimanche 29- Lundi 30 décembre :

Dimanche François est de service base et se consacre à la cuisine et au brulage des poubelles (surtout papiers et cartons qui peuvent être incinérés sans polluer ; Le reste est ramené en Australie puis en France pour être recyclé). Pendant ce temps Jean-Louis améliore le programme de visualisation en temps réel des nuages vue par le Ceilomètre. Il sera installé chez les météorologues de météo-France. Le travail technique et méticuleux continue Lundi. La fin de l’année approche, et le vent forcie !

Parallèlement d’autres activités marquent l’existence de la base. En cette fin décembre les petits poussins de manchots Adélie sont nés et nous les regardons au jour le jour et se développer à une vitesse impressionnante. On ne peut pas les rater : en réalité nous partageons chaque recoin de la base et ses passerelles avec ces incroyables oiseaux. On ne se lasse pas de les regarder vivre en communauté serrée, bruyante et odorante tout autour de nous. Les manchots Adélie passent 90% de leur vie en mer. Ils sont revenus sur la base au printemps (en octobre) pour s’accoupler, avec frénésie, dit on. Ils forment des couples assez fidèles qui se relaient pour couver et élever les petits. Les œufs ont été pondus début novembre sur des nids de petits cailloux préparés et maintenus avec soin. Les deux parents se partagent la couvaison (sans manger) en se relayant tous les 10 jours environs jusqu’à l’éclosion. Un ou deux poussins sont alors nourris par papa et maman qui se relaient alors tous les un ou deux jours. Les alentours de la base se transforment alors en autoroute vers la mer.

 

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Les manchots sont chez eux. On ne cesse de les croiser à l’occasion de leur incessants va-et-vient entre leur nid et l’océan. Lorsqu’un couple se retrouve pour échanger les rôles (l’un couve, l’autre chasse), une parade langoureuse et sonore anime les alentours. Toute la base vie au rythme de ces cancanages. Certains manchots sont « tagués » car étudiés par les ornithologues de la base.

 

 

Pour protéger les œufs et les poussins de l’humidité, les manchots sont obsédés par l’accumulation de cailloux pour améliorer leur nid. Ils sont intensément recherchés et disputés

 

Les ennemis : Les Skuas Antarctiques (qui ressemblent à des goélands bruns) se nourrissent des œufs et des poussins Adélie. Prédateurs, ils vivent malgré cela au milieu des colonies de manchots ! La tension est permanente entre les deux espèces.

 

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Les manchots Adélie sont impressionnants d’endurance sur terre et de virtuosité en mer

 

François participe à une étude CNRS consistant à suivre certains Manchots sélectionnés en les équipant de capteurs GPS. Il faut ensuite les récupérer. La capture des manchots (reconnus grâce à des transpondeurs) est un véritable sport surtout quand il neige! Les animaux sont soigneusement traités en minimisant leur stress et puis étudiés quelques minutes (prise de sang, recherche de contaminants et polluants, etc).

 

 

 

EPISODE 7

 

Bonne année 2020 !… et bonne tempête.

 

Mardi 31 décembre et mercredi 1er janvier

Après trois semaines de temps clément et de très belles journées, notre réveillon du premier de l’an se déroule dans la tempête. Ce n'est "qu'une tempête estivale" comme on dit ici: 48 heures avec un vent établi dépassant 100 km/h, avec fréquemment des rafales à 150km/h et des pointes à 175 km/h. C’est encore plus fort entre certains bâtiments lorsque le vent est canalisé.

Ici ce vent n’est pas exceptionnel. Il est même assez banal puisque le vent dépasse 100 km/h un jour sur trois en moyenne sur l'année… Il s’agit essentiellement d’un vent de pente « catabatique » créé lorsque l’air refroidit à la surface du continent de glace devient suffisamment dense pour s’écouler sur la pente vers la mer. Ce vent se renforce considérablement lorsqu’une dépression s’approche de la côte.

En quelques heures mardi matin le vent disloque la banquise qui nous entourait. La glace de mer d’un mètre d’épaisseur environ se casse en plaques qui disparaissent vers le large.

 

Une petite tempête estivale. L’hiver c’est pire… Sur cette figure, on peut voir l’évolution de la vitesse du vent (en km/h, sur l’axe vertical) en fonction du temps (axe horizontal), du 30 décembre à 9h (heure UTC-Universal Time Coordinated)) au lendemain 8h. La vitesse moyenne du vent (courbe du bas) et celle des rafales de vent (courbe du haut) sont calculées sur des intervalles de 10minutes. Pour l’heure à Dumont d’Urville il faut rajouter 10h. La banquise a débâclé dans la matinée du 31 décembre ici, soit vers le 31/12/19 à 0h UTC.

 

La débâcle : L’épaisse banquise sur laquelle nous nous déplaçons depuis notre arrivée est brisée par la tempête et emportée au large en quelques heures. De nombreux manchots profitent du voyage…

 

Nous passons le réveillon tous ensemble. Le thème de la soirée est « Hawaii » et nous sommes plus ou moins déguisés en surfeurs ou vahinés. Repas de fête, danses folkloriques puis, comme partout, c’est la fête pour le début de l’année 2020.

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Animation culturelle en Antarctique : habillé en Hawaïen, le menuisier Nicolas Pabois (accroupi)  donne des cours de danse folklorique bretonne entrainée par sa cornemuse. Il est accompagnée par François le planétologue et Alain le technicien météo qui gratouillent la guitare tandis que François le prévisionniste marque la mesure à la batterie.

 

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Après la tempête nous nous retrouvons sur une ile entourée d’une mer chargée de multiples petits icebergs et plaques de glace brisées…

Jeudi 2 et Vendredi 4 janvier.

Il est temps pour nous de partir vers la base Concordia à 1200 km au cœur du continent sur le « Dome C ». Au moins deux, voire trois semaines de travail sur les instruments météos du programme CALVA de Christophe Genthon sont prévues pour nous là bas.

Après la tempête la neige et le vent perdurent. Un avion est planifié pour samedi 5. Nous terminons au mieux tous nos projets ici : Vérification des systèmes de rechanges en cas de panne pendant l’hiver, briefing des hivernants scientifiques et des collègues de Météo-France, préparation des malles pour stocker notre matériel ici et renvoyer certains outils et équipements en France.

C’est aussi nos dernières occasions pour participer à certaines « manips » des Ornithologues. Ceux-ci sont impressionnants de rigueur lors de leurs inventaires systématiques et sans cesse renouvelés. Plusieurs espèces viennent nicher ici l’été. Dans les épisodes 5 et 6, nous avons parlé des manchots Empereur et Adélie ainsi que des Skuas Antarctique et des petites Océanites de Wilson. Nous croisons aussi des Pétrels Géants, Damiers du cap, Fulmars Antarctiques et de nombreuses Pétrels des neiges.

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Les charmantes Pétrels des neiges qui nichent en couple dans les anfractuosités.

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L’impressionnant Pétrel Géant Antarctique, qui atteint deux mètres d’envergure.

 

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Le Damier du cap.

 

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Les terribles Skuas Antarctique laissent leur poussins au milieu des rochers. Ils ne sont pas sans protection : quiconque s’approche est intensément attaquée par les deux parents.

 

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Surprise ! Un soir nous croisons une espèce rare ici : un manchot à jugulaire (à droite), tout seul, probablement égaré et refugié après la tempête. Evidemment il faut toujours qu’il y ait un Adélie pour faire le pitre sur la photo..

 

Samedi 5, dimanche 6, lundi 7 janvier… vendredi 11 janvier : départ, départ, départ ?

Samedi le départ est prévu dans l’après midi en hélicoptère pour Cap Prudhomme d’où on peut rejoindre une piste aménagée sur le glacier à quelques kilomètres au dessus par véhicule à chenilles. Seuls de petits avions montés sur skis peuvent atterrir là. Le notre est un « Twin Otter » (bimoteur à hélice) qui doit venir de Concordia (~environ 5 heures de vol) pour nous y emmener dans la nuit. Nous chargeons les bagages dans l’hélico. Charlène la glaciologue et le cuisinier François organisent pour nous un chouette apéritif d’adieu à 18h. Cependant notre vol est annulé 5 minutes avant ! Rassurez vous, l’apéro est maintenu.

Le vol est repoussé à dimanche puisque la météo prévoit du ciel bleu et peu de vent.

Erreur : au levée et toute la journée, des nuages bas et du brouillard empêchent tout mouvement aérien. Il est néanmoins décidé de tenter un vol dans la nuit -enfin au soleil de minuit- (il ne fait jamais nuit). Nous rechargeons nos bagages dans l’hélico pour partir avant le diner. Bien sur il se met à neiger et tout est annulé.

Heureusement du beau temps est prévu pour Lundi matin à l’aube. Nous dormons par tranche en vérifiant régulièrement les messages par satellites des responsables de l’avion qui confirment un vol à 7h30. Puis l’annulent. Il faut dire que le temps reste couvert dans la matinée avant de s’éclaircir lundi après midi. Mais il est trop tard. L’avion est rentré à sa base principale, la station italienne Mario Zuchelli situé à 1300 km de Dumont d’Urville, très loin sur la cote à l’est… Une dépression s’annonce dans les jours à venir et tout vol sera impossible. En fait il s’avère que l’avion ne sera pas disponible avant la semaine prochaine. Notre planning en prend un coup et nous réalisons qu’il sera impossible de repartir de l’Antarctique avec le prochain bateau en janvier. Il faudra attendre la rotation suivante pour un retour mi-février. Pour tout le monde ici, ce contretemps est tout à fait normal et attendu : « En Antarctique, pas de pronostics ». Il ne reste plus qu’à attendre…

Les bagages sont chargés, déchargés, chargés, déchargés…

 

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10 Janvier : Le soleil est de retour mais pas l’avion… (Selfie pris au cours d’un jogging matinal, sous les attaques incessantes des Skuas).

 

Du nouveau chez les manchots Adélie de la base. Les poussins grandissent à vu d’œil et se regroupent en « crèche » sous surveillance d’adultes, pendant que les autres parents vont pécher. A leur retour les familles se retrouvent grâce à leurs piaillements uniques.

 

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EPISODE 8

 

Un autre Antarctique…

 

Vendredi 17 : départ pour Concordia !

Depuis quelques jours déjà, les prévisions météos annoncent une fenêtre de beau temps vendredi suivie d’une dégradation samedi et dimanche. Après une nuit où il a encore bien neigé, vendredi matin le temps est beau : ciel bleu, pas de nuage ni de vent. François de Météo-France prévoit un temps bien dégagé jusqu’à 16h, puis une arrivée progressive de  nuages.  Les conditions pour voler sont donc parfaites à Dumont d’Urville... mais pas à Concordia, d’où part l’avion, où nous devons aller, et où le temps est brumeux. Il est prévu que ce brouillard se dissipe au cours de la journée, mais l’avion pourra-t-il décoller assez tôt pour atterrir à Dumont d’Urville avant que le temps ne se dégrade ? Ce vol est important pour nous, mais aussi plus largement pour la logistique locale puisqu’il doit descendre sept personnes devant embarquer sur le brise-glace Astrolabe, attendue ce samedi. Avec les problèmes qu’a eu le bateau depuis novembre, le timing est très serré. Ambiance tendue. Nous n’avons pas osé ranger complètement nos affaires ni re-re-redire au revoir à nos amis de la base. Quand nous croisons l’un d’eux, nous saluons même d’un « à ce soir » souriant.

En début d’après midi, sans nouvelles, nous n’y croyons plus. Cependant on nous informe que l’avion va décoller ! Le risque est pris qu’il fasse route sur Dumont d’Urville, quitte à ce qu’il fasse demi-tour en chemin. Il devra alors se ravitailler en carburant grâce à un dépôt de carburant de secours placé à mi chemin entre Concordia et Dumont d’Urville au milieu de rien (vraiment rien).

16 heures : des premiers nuages assez épais apparaissent à l’horizon. Ordre est donné de nous préparer quand même pour un départ à 17 heures. On termine de refaire nos sacs, on dit au revoir à ceux que l’on croise. A 17 heures nous sommes au pied de l’hélicoptère, prêt pour qu’il nous amène à la piste d’atterrissage. Message radio incroyable : l’avion a atterri sur le glacier. On y va !

Le spectacle est toujours très beau vu d’en haut. La mer, la banquise, le glacier, et là haut quelques points sombres : l’avion et quelques véhicules qui sont montés depuis la base de Prudhome pour assurer la logistique. Les sept passagers descendent de l’avion et déchargent leurs bagages. Nous chargeons les nôtres. On échange quelques nouvelles.

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Vite ! : Tito le chef de la station de Prudhomme fait le plein de carburant de l’avion « Twin-Otter » pour un décollage le plus rapidement possible.

 

Ca y est, l’avion est près pour le départ. Derniers au revoir, les moteurs démarrent, l’avion glisse sur la neige sur ses skis, se met en bout de piste puis décolle. Cette fois-ci nous sommes partis. Nous apprendrons plus tard qu’une heure après notre départ il neigeait à Dumont d’Urville. Après 16 jours d’attente, la fenêtre météo était un trou de souris

Notre avion est un petit bimoteur « Twin Otter » piloté par deux canadiens. A quatre nous volons à 250 km/h et il faut plus de 4h30 pour parcourir les 1200 kilomètres plein sud jusqu’à Concordia.

 

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A bord du Twin-Otter vers Concordia. Le paysage est facile à résumer : immaculé, à perte de vue, sur une distance plus grande que la France. Au sol on distingue juste les « sastrugis », ces formes sculptées par le vent dans la neige nommée ainsi en russe et à présent dans toutes les langues.

Nous atterrissons au cœur de la calotte glaciaire antarctique un peu après 22h. Toujours de la neige à perte de vue mais au milieu de cet « océan » de glace, la base Franco-Italienne de Concordia. Il fait -36°C, il y a 1/3 d’oxygène en moins qu’au niveau de la mer car nous sommes à 3225 m (avec l’effet du froid polaire qui comprime l’atmosphère, c’est l’équivalent de  3700 m dans les alpes).

Nous venons d’arriver dans un nouvel Antarctique, totalement différent de là où nous étions le matin même.

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Samedi 18-Lundi 20 : La base de Concordia.

Dès à présent nous devons nous adapter à ce nouvel environnement, et aussi à ce nouveau groupe d’une cinquantaine d’italiens et français. Le mélange culturel est très sympathique. Jean-Louis parle italien couramment et profite de toutes les discussions (François est très jaloux). Dès le samedi matin nous débutons par une première réunion avec les responsables de la base pour discuter de nos projets pour les semaines à venir et du soutien technique dont nous aurons besoin. Nous en reparlerons dans les épisodes à venir.

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A gauche : Tous les jours à 8 heure (sauf le dimanche), briefing de lancement des activités de la journée, menés par Rocco (le chef de base pour l’été) et Rémi (le jeune et charismatique responsable technique français). A droite : la chambre de François : un petit dortoir partagé avec cinq astronomes italiens…

Contrairement à Jean-Louis qui y a longuement séjourné en 2017-2018, François découvre la base. Le cœur est constitué par deux « tours » de trois étages reliées par un couloir. Elles ont été construites au début des années 2000. Concordia héberge des recherches dans de multiples domaines : climatologie, sismologie, glaciologie (avec notamment un nouveau forage profond « Beyond Epica »), des astronomes (pour observer continument le soleil en été et les étoiles en hiver), des physiciens des particules qui analysent les rayons cosmiques, des chercheurs en médecine, etc.

Les tours de Concordia sont conçues pour permettre l’hivernage d’une douzaine de personnes dans un endroit incroyablement hostile, où les températures oscillent autour de -70°C entre la fin du mois de mars et la mi-octobre (le record de froid est de -83°C). En été c’est un peu petit, même si nous nous y retrouvons pour les repas et quelques activités communes. Pour l’instant nous dormons au « dortoir d’été » à l’écart sur la neige à 600 m (ce bâtiment peut aussi servir de refuge aux hivernants en cas d’incendie). Les capteurs scientifiques dont nous nous occupons sont à plus d’un kilomètre de l’autre coté, et cela nous permet de nous promener tous les jours sur la neige glacée qui crisse sous nos pieds. Chaque fois que nous sortons d’un bâtiment, c’est une petite cérémonie pour nous vêtir des pieds à la tête afin de vivre dehors sans danger et si possible travailler dans le confort.  

 

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Près de chaque porte vers l’extérieur un écran renseigne sur les conditions dehors. Heureusement janvier est le mois le plus chaud à Concordia ! Dès début février les températures vont encore descendre de 10°C.

 

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Jean-Louis dans son bleu de travail. Pour travailler dehors par -30°C voire -50°C nous bénéficions de l’excellent matériel fourni par l’institut polaire IPEV. Sans vent tout va bien, mais dès qu’il y a une petite brise il faut couvrir la peau pour éviter les petites gelures. Autour de la base, les français sont en bleu et les italiens en rouge…

 

 

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A gauche : Comme à Dumont d’Urville, toute sorte d’engin servent à transporter hommes et matériels autour de la base, y compris des vélos à pneus spécial neige ! A droite : Même si il y a de la glace en abondance pour alimenter la base en eau, la faire fondre consomme tellement de fuel qu’il est plus avantageux de recycler l’eau des douches et des éviers. La base est donc équipée d’une très complexe station de traitement des « eaux grises » issue des technologies spatiales. Un shampooing spécial est fourni, et interdiction formelle de pisser sous la douche !

 

 

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Samedi 18 janvier : Après une courte adaptation à l’altitude et au froid, nous commençons nos travaux dans le cadre du projet CALVA d’étude de l’atmosphère. A suivre dans le prochain épisode…

 

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Concordia : ses tours, ses containers, ses télescopes, et ses paysages très variés…

 

 

EPISODE 9

 

Vie et travail dans le désert blanc

Concordia est une des rares bases scientifiques habitées toute l’année sur le plateau du continent Antarctique. C’est un plateau de glace. Bien que sont altitude varie entre 2500 et 3500 mètre environ, le socle rocheux est presque partout proche du niveau de la mer. C’est la neige accumulée au cours des millions d’années qui est à l’origine du relief actuel.

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Comme raconté dans l’épisode précédent, le contraste entre Concordia et Dumont d’Urville est totale. Ici, ni animaux ni plantes, ni bactéries. Pas de relief, de couleurs, d’odeurs, de mouvement. Le paysage est figé. Les seules couleurs sont celles de la base. Dans le bleu du ciel, quelques nuages passent parfois. Exceptionnellement du brouillard se forme. Il y a quelques jours, il a neigé quelques flocons, mais rien à voir avec ce qui tombe à Dumont d’Urville.

Du point de vue physique du climat, les échanges de chaleurs et d’humidité entre la surface et l’atmosphère sont ici très particuliers et font partie de nos sujets d’étude. La « nuit », la température de la surface baisse de 10°C à 15°C. Ce refroidissement est transmis aux premiers mètres de l’atmosphère. L’air y est alors très stable (un peu comme sur Mars dirait François qui est intéressé par cet aspect « extraterrestre »). Les échanges de chaleurs et d’humidité avec la surface sont très faibles. Les instruments de mesure dont nous nous occupons sont notamment destinés à bien mesurer ces phénomènes pour pouvoir les étudier et les modéliser.

Ces instruments sont regroupés sur deux emplacements distants de quelques dizaines de mètres : le site dit « neige », où les mesures sont faites dans les deux premiers mètres au dessus de la surface, et le site  « tour », où les observations sont effectuées jusqu’à quarante mètres au dessus de la surface.

Semaine du 20 au 27 janvier : Construction d’une nouvelle structure pour la station météo du site « neige »

Ici la surface c’est de la neige… qui ne fond jamais. Elle s’accumule progressivement au gré des faibles chutes de neige et du vent. Même si l’accumulation reste faible, tous les instruments que l’on pose sur ou près de la surface sont progressivement ensevelis. Jusqu’à présent, les instruments de mesures météorologiques étaient fixés sur une structure fixe et devaient donc être  relevés de quelques dizaines de centimètre chaque année.

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Un peu de « mécano » polaire pour concevoir une nouvelle station météo à Concordia. Ici, tous les instruments sont progressivement ensevelis sous la neige (en haut). Nous construisons une nouvelle station météorologique autoporteuse facile à maintenir en surface. Initialement prévu comme un cube (projet n°1), nous concevons sous une tente chauffée une structure en triangle mécaniquement plus robuste (projet n°2). Nous réalisons qu’il est très important de minimiser le nombre de barres horizontales basses qui provoquent des accumulations de neige en aval du vent, pour aboutir au projet final. Il n’y a plus qu’à connecter tout cela aux centrales d’acquisition de donnée. L’an prochain, l’ensemble pourra être facilement rehaussé si besoin.

 

Après plusieurs années de fonctionnement, la partie de la structure au dessus de la neige n’est plus assez haute, les instruments ne peuvent plus être rehaussés. Pour résoudre ce problème le choix a été de créer une toute nouvelle structure posée sur la neige et qui puisse être déplacée et rehaussé chaque année. Notre première mission cette année a été de mettre en place cette nouvelle structure auto-porteuse et d’y fixer tous les instruments météorologiques nécessaires.

 

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Chercheurs-techniciens-bricoleurs en Antarctique. Si travailler dehors prend plus de temps qu’en France à cause du froid, nous pouvons aussi œuvrer au chaud dans les divers ateliers de la base bien équipés  pour scier, poncer, souder (ici à quatre mains), connecter, etc. Cela nous change du calcul scientifique sur ordinateur au laboratoire à Paris ! En bas à droite : Avantage de la culture italienne : la base est équipée d’une prodigieuse machine à expresso qui chauffe toute la base même lorsqu’elle ne fait pas de cafés.

De nombreuses activités scientifiques ont lieu dans et autour de la base de Concordia.

La base de Concordia a été initialement construite pour la réalisation du fameux forage EPICA. Ce projet a permis de reconstituer l’évolution du climat et de la composition de l’atmosphère depuis 800 000 ans en remontant des profondeurs de la glace accumulée durant toute cette période. A présent, de nombreuses autres activités scientifiques sont menées sur des sujets variés : étude des propriétés physico-chimique de la neige, études de l’atmosphère et du climat, des exoplanètes, du soleil, etc. L’agence spatiale Européenne encourage des études en vue de la préparation des vols habités de longue durée. Pour explorer l’évolution du climat sur une période plus longue que 800 000 ans, un nouveau forage dans la glace a démarré cette année à 25km de Concordia. Le but est de reconstituer l’évolution du climat sur une période de plus de 1 million d’années.

 

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Astronomie en Antarctique. Grâce à sa haute altitude, une atmosphère très sèche et les longues périodes continues de jour et de nuit, Concordia offre des possibilités uniques pour les recherches sur le soleil (en été) et l’étude des systèmes exoplanétaires (l’hiver). Djamel Mekarnia, chercheur CNRS à l’observatoire de la cote d’Azur à Nice (en bas au centre), est un des responsables de l’observatoire ASTEP qui vise à étudier en continue les systèmes de planètes autour d’autres étoiles pendant la nuit polaire. Il a déjà hiverné deux fois à Concordia !

24 janvier 2020 : L’expédition « EAIIST » repart vers Dumont d’Urville.

Concordia sert également de base arrière à des expéditions scientifiques sur le continent Antarctique. Cette année, le raid « EAIIST » (East Antarctic International Ice Sheet Traverse) a entrepris une longue exploration du cœur du continent en direction du pôle sud. Parti de la côte pour rejoindre Concordia début décembre, l’équipe EAIIST a ensuite effectué un raid de 50 jours et de plus de 1400km dans des régions très peu connues afin de mieux comprendre l’évolution de l’Antarctique soumis au dérèglement climatique en observant la glace et l’atmosphère sous toute les coutures (forage, prélèvement, profils radars, etc.). Ils ont notamment exploré une région couverte de « mega-dunes » de neige riches d’informations sur l’accumulation et l’érosion de l’Antarctique.

Par coïncidence, l’expédition EAIIST est revenue à Concordia quelques heures avant notre arrivée le 17 janvier. Ils ont été accueilli sur la base pour se reposer et se ravitailler jusqu’à leur départ au matin du 24 janvier. L’équipe est très sympathique. Elle rassemble trois logisticiens français et italien, Nicolas le médecin et des collègues chercheurs et ingénieurs de l’Institut des géosciences de l’environnement à Grenoble.

 

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Le raid scientifique « EAIIST » repart vers Dumont d’Urville. Il aura parcouru près de 4000 km a son arrivée. Un tel raid ne ressemble pas aux expéditions légères pratiqués par François en Arctique, mais plutôt à de la marine marchande : le convoi de 250 tonnes rassemble une dameuse et 5 tracteurs qui tractent d’énormes cuves de carburant,  une centrale électrique, des containers-caravanes qui servent de laboratoires, dortoirs, cuisine, salon, et base de forage. A droite : de nombreux échantillons de glace ont été relevés le long du raid. Soigneusement rangés dans des boites isolantes, elles vont être rapportées en France pour des analyses physico-chimique en laboratoire

 

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Vincent Favier, membre de l’équipe du raid EAIIST, nous fait visiter les caravanes oranges du module « vie » de l’expédition.

 

EPISODE 10

 

 « Winter is coming »

A partir de la fin janvier, les températures au cœur du continent Antarctique chutent rapidement. Bientôt, elles atteindront -55°C. Mêmes les avions spécialisés ne pourront alors plus opérer et la base de Concordia se vide. Nous vivons les derniers jours de Concordia avant que les douze hivernants restent seuls pour 9 mois sans possibilité de ravitaillements, à partir du 7 février.

Mercredi 29 janvier : Dernier ravitaillement par le « raid ».

Ce mercredi arrive enfin le troisième raid « logistique » de la saison, Il s’agit d’une longue caravane de cuves et de containers rempli de carburant et victuailles qui viennent approvisionner la base de Concordia à partir de ce qui est apporté par brise-glace à la base Dumont d’Urville. Les huit équipiers ont parcouru 1200 km en une dizaine de jours. Ils restent deux nuits à Concordia, et descendent (entre autre) tous nos déchets !

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Lutte contre la famine en Antarctique : Le 3eme raid logistique de la saison apporte des dizaines de tonnes de nourriture, carburant et matériel, dont deux divans tout neuf pour le salon de la base.

 

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Lutte contre la famine en Antarctique (suite) : Régulièrement en été, quelques tonnes de victuailles fraîches sont apportées en avion des bases situées sur la côte.

Mardi 28 janvier – Mardi 4 février : « La tour américaine »

Chaque jour en cette fin janvier le soleil descend un peu sur l’horizon et avec lui les températures. Malgré cela il est temps pour nous de nous occuper de l’entretien de notre deuxième site de mesure, l’impressionnante « Tour américaine » de 45 mètres de haut  (l’équivalent de 15 étages) dressée à un kilomètre de la base. Ce grand mat métallique est nommé ainsi car il a été bâti par des chercheurs venus des USA pour évaluer le site de Dome C en vu d’y installer un éventuel observatoire astronomique. A présent notre programme de recherche « CALVA » a équipé cette tour de multiples anémomètres, thermomètres, hydromètres afin de mener l’enquête sur l’étrange atmosphère du plateau Antarctique. Les conditions extrêmes hivernales –jusqu’à -80°C- ont justement abimé de nombreux capteurs que nous devons réparer ou changer. De là haut le paysage est spectaculaire. A gauche la glace blanche et le ciel bleu. A droite le ciel bleu et la glace blanche. Cela  n’en reste pas moins une magnifique désolation.

Depuis quelques années un autre problème se pose : localement, la tour influence le dépôt des particules de neiges transportées par le vent. Ainsi une vaste congère s’est formé tout autour du pied de la tour et il est devenu difficile de savoir à quelle hauteur au dessus du plateau antarctique les instruments mesurent exactement. C’est pourtant une information capitale pour pouvoir en exploiter les données et régler nos modèles numériques d’atmosphère. Il nous faut donc cartographier le relief de la neige autour de la tour, Pour cela nous avons prévu d’utiliser un petit télémètre laser. Perché sur la tour, en combinant distances et angles mesurés, nous pouvons ainsi reconstruire quatre profils jusqu’à une trentaine de mètres. Pour cette mesure, nous attendons patiemment un après-midi ensoleillée et sans vent, mais par -36°C nous n’échappons pas à l’inévitable onglée lorsque l’on effectue des manipulations trop fines pour les moufles.

Le petit télémètre fonctionne, mais ce n’est pas encore suffisant pour résoudre notre problème. En discutant avec nos collègues italiens, une bonne surprise nous attend : ils peuvent nous aider en déployant un scanner laser complet et automatique conçu pour cartographier en 3D des reliefs comme celui qui nous intéresse ! Tout le monde s’y met : le menuisier fabrique des perches qui vont servir de cible de référence (indispensable pour le système Leica en question), et le 28 janvier Rocco le chef de base s’emploie à organiser la mesure. Pas moins de sept scans de 20 minutes à partir de sept emplacements seront nécessaires. Le résultat final est encore à venir car il demande une recombinaison des mesures sur un serveur numérique en Italie, mais l’ensemble est prometteur. De plus nos collègues italiens semblent déterminer à effectuer cette mesure tous les ans.

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Travaux sur la tour américaine à 45 mètres. Nous montons équipés d un harnais de sécurité au dessus de nos vêtements polaires. Ceux ci sont vraiment chauds, mais cela n’empêche pas de se geler les mains dès qu’il faut retirer les moufles pour manipuler vis et écrous… Et bien sur le vent souffle de plus en plus fort au fur et à mesure de l’ascension.

 

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Un projet international. Les chercheurs et techniciens italiens (en rouge) nous prêtent main forte pour déterminer le relief de la neige autour de la tour américaine avec un scanner laser 3D (en vert). Vive la collaboration France Italie ! (et pas que pour la machine à expresso).

5 et 6 février : les derniers jours à Concordia

Le jeudi 5 février est marqué par le départ de 16 équipiers Français et Italiens vers la base australienne de Casey d’où ils pourront prendre un Airbus spécial capable de rejoindre l’Australie depuis l’Antarctique. Après ce départ nous ne seront plus que six en plus des hivernants, dans une ambiance feutrée qui préfigure l’isolation de l’hivernage à venir.

Après des mois d’été à vivre et travailler ensemble, les adieux au matin sont très émouvants. Cependant, dans l’après midi nous apprenons que la météo a été trop mauvaise pour permettre à l’avion d’atterrir à Casey. Il a fait demi-tour et revient à Concordia ! Comme il est prévu que le temps va continuer à se dégrader dans la région de la base australienne, il est aussitôt décidé que ces équipiers ne quitterons pas l’Antarctique en avion, mais qu’ils viendront embarquer sur le brise glace Astrolabe avec nous à Dumont d’Urville pour rentrer en Tasmanie. Résultat : notre départ vers la base française est avancé au lendemain 6 février. Juste le temps de faire nos bagages, et nous voilà partis. Il est temps : le soir il fait -49°C, et -60°C en comptant l’effet du vent….

 

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Le 5 février il ne reste plus avec nous qu’une poignée de « campagnards d’été » pour déjeuner avec les douze hivernants qui se préparent à passer 9 mois dans un des lieux les plus isolés du monde. Dès la mi mars et jusque début octobre, les températures à Concordia oscilleront autour de -70°C.

 

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De l’avis de tous, la personne la plus importante de l’hivernage sera la cuisinière. Cette année il s’agit d’Elisa, une sympathique cheffe française. A droite : l’étonnant congélateur de la base de Concordia dans lequel les aliments sont chauffés ( !) à -20°C pour pouvoir les travailler après les avoir rapportés des containers à l’extérieur où la température moyenne est de -55°C. Dans ce congélateur, il n’y a pas de système de réfrigération, juste une aération…

 

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En vol vers la côte. Nous retournons à Dumont-d’Urville à bord d’un avion de collection, un ancien DC3 de 1942 qui a été équipé de nouveaux moteurs et d’un équipement moderne (« Basler BT42 »). Grace à ses grandes ailes portantes, cet avion peut décoller et atterrir à ski sur la neige en seulement quelques mètres.  En haut. Le matin peu avant le décollage les différents systèmes de réchauffage des moteurs nécessaires par -42°C  transforment l’avion en spectaculaire monstre à vapeur.

 

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Retour sur le glacier au dessus de la base Dumont d’Urville le 6 février. Il fait chaud ! -2°C, soleil. Après Concordia, nous avons l’impression d’arriver sur la côte d’Azur…

 

 

EPISODE 11

 

Le chemin du retour

Après les trois semaines passées à Concordia, c’est un plaisir de retrouver l’animation de la base de Dumont d’Urville, les manchots, les paysages, les couleurs, et les collègues devenus amis avec qui nous avions déjà séjourné six semaines. A présent l’obscurité règne quelques heures par nuit, et nous avons droit à de beaux couchés de soleil. La glace de mer recommence à se former, mais timidement. Il ne fait pas encore très froid. Les températures de jour restent autour de 0°C.

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Février : les manchots Adélie adultes profitent de l’absence de glace de mer pour faire de beaux plongeons avant d’aller se nourrir au large et ramener de la nourriture pour leurs petits.

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Cette année, les manchots doivent aller loin pour trouver de la nourriture et nourrir leurs poussins (à gauche). Très vite ils doivent véritablement fuir devant leurs petits qui réclament à manger agressivement (à droite). C’est très drôle à voir ! Les petits manchots sont devenus dodus et ont commencé à muer : leurs duvet gris est progressivement remplacé par un plumage blanc et noir, comme celui des adultes. Il faut que leur mue soit terminée avant qu’ils puissent plonger dans l’eau, aller se nourrir et devenir totalement autonome.

 

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L’Astrolabe est arrivé à quai et les opérations de déchargement commencent. Cette fois-ci, le brise glace a apporté beaucoup de fuel, pour les centrales électriques des bases, mais aussi pour les différents véhicules, engins à chenille, avions et hélicoptères. Ce sont des fuels « spéciaux Antarctique », qui gèlent à des températures très basses.

 

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Deux scientifiques viennent d’arriver à Dumont d’Urville pour poser des balises GPS sur les phoques de Wedell. Après avoir été endormi, une balise est collée sur eux (si si, avec de la colle), ce qui permet ensuite de suivre et étudier leurs déplacements.

 

Lundi 10 février :

C’est le jour du départ ! Nous embarquons à bord de l’Astrolabe avec une quarantaine d’autres « campagnards ». La majorité des chercheurs et techniciens travaillant sur des programmes scientifiques partent. Il ne reste plus que les hivernants et le personnel technique qui prépare la base et le matériel pour l’hivernage. Tout devra fonctionner normalement dès l’été prochain. D’ici trois semaines, eux aussi partiront à l’occasion de la dernière rotation de l’Astrolabe, Il ne restera plus que la vingtaine d’hivernants.

 

Larguez les amarres ! Les traditionnels trois coups de corne de brune ont été donnés du bateau. Les dernières amarres sont larguées, ceux qui restent nous regardent partir. Ce soir, le nombre de personnes qui dîneront sera nettement plus faible que les jours précédents.

Pour rejoindre l’océan libre, il faut d’abord traverser le pack de glace qui s’étale sur plusieurs dizaines de kilomètres. Les tempêtes de l’été ont fractionné la banquise, qui n’est plus continue mais constituée de blocs de glace de 1 à 2 m d’épaisseur environ et de quelques mètres à dizaines de mètres de long. L’Astrolabe est un brise-glace assez léger mais qui est bien adapté pour passer au travers cette banquise fractionnée. Il casse ou pousse sur le côté les blocs qu’il rencontre. Stan, le « pilote des glaces » est installé dans un nid de pie pour guider le bateau vers les passages où la glace de mer est la moins dense. Au milieu des glaces nous avons droit à un magnifique coucher de soleil et même à un superbe lever de pleine lune droit devant nous. Le temps est calme, la température est douce, le vent est faible. Tout le monde est sur le pont pour admirer ce paysage et envoyer un dernier au revoir au continent Antarctique….

 

                                                                                                                   

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Dans la nuit du 10 au  11 février, lever de Lune sur la banquise et les icebergs

 

Dans l’Astrolabe, nous  dormons dans des chambres de quatre lits, grandes et confortables, avec bureaux, WC et douches !

 

Comme à l’aller le navire est régulièrement entouré d’albatros qui le suivent pendant des heures presque sans battre des ailes.

 

Notre périple au bout du monde. Voyager ici est beaucoup plus simple qu’il y a 100 ans, mais cela reste une des rares régions où chaque kilomètre parcouru est apprécié à sa juste valeur…

La traversée de l’immense océan austral sur l’Astrolabe se fait avec des conditions météorologiques exceptionnellement bonnes pour la région : vent de 20 à 30 nœuds (40 à 55 km/h environ) et faible houle (vagues d’un mètre de hauteur, rarement plus). Arrivé à Hobart, nous prendrons ensuite un avion pour Paris via Melbourne et Abu Dhabi.

Parti depuis le 28 novembre, nous devrions être de retour en France le 18 février. Notre périple aura duré près de 3 mois. Malgré des moments de suspens liés aux transports, tout se sera finalement bien déroulé. Nous avons pu réaliser tout le travail prévu. Nous revenons heureux avec plein de belles images dans les yeux et riche de très belles rencontres humaines. Merci à tous d’avoir suivi ce voyage !